Racisme, féminicides, violences policières… Le "système" a bon dos
Racisme, féminicides, violences policières… Depuis quelques années, la sphère militante française pare chacun de ses combats du vaporeux épithète "systémique" - au mépris de l’exactitude, de la nuance et du dialogue. A l’impérieuse nécessité de nommer dûment les travers sociétaux, on accole désormais le dit argument d’autorité, au risque de noyer les responsabilités dans une bouillie mêlant Etat, institutions, héritage culturel ou encore biologie.
Mais la France – qui charrie son lot de travers – n’est pas l’Amérique, où le racisme institutionnalisé a longtemps perduré, au point que l’organisation de sa société en porte encore les stigmates. Elle n’est pas non plus l’Iran, dont la loi donne le droit de commettre des "crimes d’honneur" à l’encontre des femmes. Bien sûr, l’emballement du décompte des féminicides de ce début d’année doit nous interpeller (33 en France au 16 mars). Mais imputer leur responsabilité au "système" va contre la rigueur intellectuelle. D’ailleurs, de quel système parlerions-nous ? Pour l’historienne Christelle Taraud, interrogée par Le Monde, les meurtres de femmes seraient ainsi le fait d’un "système patriarcal qui privilégie [les hommes]". Selon la porte-parole de l’association Osons le féminisme Violaine de Filippis, ceux-ci seraient encore engendrés par "notre culture judéo-chrétienne". Est-ce bien suffisant pour expliquer – et par là, endiguer – ces crimes ?
Certes, les féminicides sont dans leur écrasante majorité le fait des hommes. Mais une étude de la Délégation aux victimes a montré l’incidence de certains facteurs dans le passage à l’acte, telle l’absence d’emploi ou la maladie de la victime. Les prendre en compte ne revient pas à excuser ou légitimer ces crimes. Au contraire : leur gravité ne mérite-t-elle pas, justement, un examen minutieux des mécanismes à l’œuvre plutôt que de se voir soldée par la seule culpabilisation de l’"homme" et son histoire ?
Mise en accusation de l’Etat
Qu’il s’agisse des meurtres de femmes, de racisme ou de violences policières, les risques à mal nommer sont multiples. A commencer par celui de déresponsabiliser les individus partis au problème, sauvés par l’épouvantail du "système". Sans oublier l’effet contreproductif que génère bien souvent la culpabilisation outrancière de toute une communauté, tels les hommes, les personnes non racisées, ou encore les forces de l’ordre. Ainsi, victimes contre parias se livrent-ils une lutte reposant non pas sur l’examen de conscience de chacun, mais sur l’objectif de ne pas céder aux sirènes accusatoires du camp d’en face.
Pis : en creux de la dénonciation du caractère "systémique" de ces injustices git aussi une mise en accusation de l’Etat, perçu comme acteur du problème car protecteur des bourreaux. Comment, dès lors, s’en remettre à ceux qui nous gouvernent pour agir ? L’amalgame pourrait bien (et cela a déjà commencé) renforcer la fracture entre Etat et citoyens. En témoigne l’argument régulièrement opposé au gouvernement par ses détracteurs, concernant sa lutte contre les violences faites aux femmes, à savoir la présence de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur malgré les accusations de viol qui pèsent sur lui.
De la même façon, après la mort d’Adama Traoré, décédé en 2016 lors d’une interpellation par des gendarmes dans le Val-d’Oise, de nombreuses manifestations avaient dénoncé un "racisme institutionnalisé" et une complaisance de l’Etat. "Il peut y avoir du racisme dans certaines institutions, mais ceux qui incarnent l’Etat non seulement ne se revendiquent pas du racisme, mais essaient en plus de le combattre, tranchait le sociologue Michel Wieviorka auprès de L’Express en 2021. Qualifier ainsi l’Etat français de raciste me semble injuste. C’est ignorer ce qu’est un vrai racisme d’Etat, à l’image de l’apartheid en Afrique du Sud."
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