Israël : pourquoi en s'attaquant à la justice, Netanyahou a provoqué une crise sans précédent
En voulant réformer la Cour suprême afin de lui ôter la majorité de ses pouvoirs, Benyamin Netanyahou a attisé la colère de la rue et provoqué une crise politique sans précédent. A tel point qu’il a dû la mettre sur « pause » lundi soir.
Pour éviter l’explosion de sa coalition gouvernementale, Benyamin Netanyahou a dû faire marche arrière lundi soir sur sa réforme controversé de la justice. Après des manifestations réunissant des dizaines de milliers de personnes et une grève générale, l’État hébreu vient de vivre une crise politique d’une ampleur inédite qui a ébranlé ses fondations démocratiques, analyse David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L’Harmattan).
Comment analysez-vous cette tentative de passage en force de Benyamin Netanyahou ?
Il a toujours été un animal politique plutôt roué. Ce n’est pas nouveau. À ceci près que dans la configuration actuelle, il touche en quelque sorte à l’ADN démocratique de l’État hébreu. Netanyahou se considère investi d’une légitimité issue des législatives du 1er novembre 2022 alors qu’il est à la tête depuis le 25 novembre suivant d’un gouvernement composite inédit issu en la circonstance de la redoutable mécanique de coalition à la Knesset, gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays, avec beaucoup d’ « Ultras » notamment d’ultra-orthodoxes, lequel n’est pas réellement représentatif de la majorité électorale israélienne. Même s’il peut se targuer d’avoir une majorité de 64 sièges sur 120 à la Knesset.
A-t-il sous-estimé l’opposition à ce projet qui vise à limiter les pouvoirs de la Cour suprême ?
Il l’a probablement sous-évaluée en en faisant exclusivement une affaire politique sinon politicienne. Alors qu’il touchait précisément à l’ADN démocratique du pays dont la Cour suprême se veut la garante. Ce qui explique la réaction logique de la société civile et des députés de l’opposition à la Knesset. Mais le trouble a même gagné les rangs du Likoud dont certains de ses membres comme Yuli Edelstein, Danny Danon ou David Bitan ont émis des réserves sur la logique intransigeante suivie par le Premier ministre. Avant son éviction, le propre ministre de la Défense du gouvernement, Yoav Gallant, a d’ailleurs souligné à quel point cette situation constituait désormais « une menace pour la sécurité d’Israël ».
Si Yoav Gallant a tiré la sonnette d’alarme, c’est qu’il y a des tensions au sein de Tsahal…
Oui, et cela s’est manifesté avec le refus ostensiblement annoncé le 4 mars dernier de 37 des 40 pilotes d’élite - des héros qui seraient presque des demi-dieux en Israël - du Tayeset 69 Hammers de Heyl Ha’vir (69e escadron) de l’armée de l’air de participer le 8 mars à un entraînement obligatoire au motif que le projet gouvernemental pourrait conduire à un "régime dictatorial". Par ailleurs des appels de plus en plus nombreux de réservistes - la colonne vertébrale de la sécurité de l’Etat hébreu - à refuser de servir de plus se sont multipliés. Et last but not least, une dizaine d’anciens chefs militaires et/ou du renseignement ont demandé à Benjamin Netanyahou de suspendre son projet législatif controversé dans la mesure où la fracturation de la société israélienne affaiblissait le pays pour faire face aux menaces extérieures.
La crise interne en Israël inquiète ses alliés, en particulier les États-Unis, face à la menace iranienne…
Bien sûr. Mais cela inquiète d’abord en Israël même pour les raisons susmentionnées en matière de crédibilité dissuasive. C’est d’ailleurs l’argumentaire principal de Yoav Gallant, ainsi que celui du chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi qui a déclaré le 26 mars aux nouvelles recrues qu’elles s’engageaient dans une période difficile marquée par des menaces sécuritaires externes et des tensions internes liées à la réforme judiciaire, et les a chargées de la double mission de protéger le pays et de maintenir l’unité de l’armée.
Le pacte de non-agression récemment signé entre l’Iran et l’Arabie Saoudite n’isole-t-il pas l’État hébreu ?
Le rapprochement entre les pays du Golfe et Israël s’était opéré, dans le cadre de la dynamique des "accords d’Abraham" signés le 15 septembre 2020 entre Israël et les Émirats Arabes unis ainsi que Bahreïn et que d’aucuns voyaient comme une préfiguration d’une architecture de sécurité régionale voire comme l’esquisse d’un front sécuritaire anti-iranien. Ce qui était loin d’aller de soi même si l’article 7 des "Accords d’Abraham" mentionnait le développement futur d’un "Agenda stratégique pour le Moyen-Orient", où les pays signataires s’engageraient notamment à travailler conjointement pour assurer la sécurité et la stabilité régionales. Mais l’Arabie saoudite n’avait pas investi cette dynamique des "accords d’Abraham" pour des raisons qui lui sont propres. Or, l’accord de normalisation entre Riyad et Téhéran "neutralise au profit de Téhéran ces velléités de constitution d’un front anti-iranien". L’ancien Premier ministre Naftali Bennet y voit un accord "dangereux pour Israël" et considère qu’il s’agit d’"une victoire politique pour l’Iran" qui "porte un coup fatal aux efforts visant à construire une coalition régionale contre l’Iran".
Et ce, alors que Yoav Galant estimait pour sa part avant même son limogeage : "nous sommes dans une période critique. Nous devrons bientôt prendre des décisions importantes, significatives pour l’Etat d’Israel. La menace iranienne nous oblige à nous préparer et à être prêts à toute action".
Propos recueillis par Dominique Diogon
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé, ce lundi soir, une "pause" dans le processus d'adoption de la réforme de la justice en cours d'examen au Parlement, et contestée dans la rue depuis près de trois mois. Dans une adresse à la nation, après des consultations avec certains partenaires de la coalition au pouvoir, Benjamin Netanyahu a annoncé que l'adoption définitive des différents projets de loi de la réforme était reportée à la prochaine session parlementaire devant s'ouvrir après les fêtes de la Pâque juive (5 au 13 avril), cédant ainsi en partie aux demandes des opposants.