Le goût du large!
Arthur Da Costa Adao et Louis Grizeau ont fait leurs classes sur le continent avant de mettre le cap sur l’île de Ré. À L’Écailler, leur restaurant du port de La Flotte, ils mettent un point d’honneur à ne servir que les meilleurs produits du terroir comme le thon rouge, le lieu jaune et le homard, avec de jolis vins accessibles à tous.
« À l’origine, les nourritures naturelles de l’homme sont les bêtes et les plantes de son territoire, le mammouth, le caviar, l’huître, la truffe, les insectes, les fruits… » Joseph Delteil, La Cuisine paléolithique.
Dans nos campagnes, les touristes hollandais traînent la réputation d’apporter avec eux leur nourriture stockée au fond de leur camping-car. Vestige d’un vieux puritanisme protestant, cet esprit d’économie passe à l’as la plus grande joie des vacances, celle qui consiste à découvrir un pays étranger à travers ce qu’il offre de plus intime et de plus profond : son goût !
Le parfum d’une terre âpre et sauvage
Quel est donc le goût de l’île de Ré ? Depuis la construction du pont la reliant au continent (1988), bien des choses ont changé… Ceux qui se souviennent du bac qu’il fallait prendre au départ du port de La Pallice savent qu’il s’agissait d’une expédition, on se rendait sur une terre encore sauvage et préservée. Né en 1931 au village de Sainte-Marie, l’apiculteur Robert Guion, 94 ans et l’œil pétillant (il a passé sa vie à se soigner au miel et à la gelée royale), nous livre ici un témoignage ethnologique.
« Pour se rendre sur l’île de Ré avant la guerre, il fallait prendre un bateau, Le Coligny, qui partait de La Rochelle deux fois par semaine. Un petit train partait de Rivedoux et montait jusqu’aux Portes, au nord. Les gens avaient le sentiment de se retrouver sur une terre étrangère. Louis XIV avait d’ailleurs accordé à l’île de Ré le privilège royal d’être « un Pays étranger », exempt de taxes et libre de commercer avec les pays scandinaves et la Hollande pour leur vendre du vin, des eaux-de-vie et du sel. Le roi récompensait ainsi les Rétais d’avoir repoussé la tentative d’invasion anglo-hollandaise de juillet 1696, quand quarante-trois vaisseaux avaient bombardé le port de Saint-Martin fortifié par Vauban. Jusqu’à la Révolution, l’île s’est beaucoup enrichie. Après 1945, les touristes ont commencé à venir à bord du bac. Mais nous vivions toujours en autarcie : nous nous nourrissions de poissons pêchés à pied (il y avait 140 écluses !), de coquillages et de légumes. Pour l’eau, chaque maison avait son puits, une eau très fraîche et très pure. Nous avions aussi des poules, des lapins et des chèvres… C’était un monde clos. Au nord, les Rétais parlaient le patois de Vendée, au sud le patois d’Aunis et de Saintonge. Pour le divertissement, il y avait les cafés et les bals populaires. Les ânes portaient les vendanges. Le miel avait un autre goût qu’aujourd’hui car il y avait des fleurs de luzerne, d’asperges et d’immortelles des sables (toutes ramassées par l’industrie cosmétique). Le plat traditionnel de l’île de Ré était le ragoût de seiche aux pommes de terre, parfumé à l’oignon, à l’ail, au persil et au vin blanc de l’île (à base de folle-blanche) ; les seiches étaient séchées au soleil l’été pour être conservées, puis trempées dans de l’eau avec de la cendre l’hiver. Au dessert on mangeait de la galette à l’angélique confite des marais poitevins accompagnée d’un verre de pineau des Charentes. Le seul engrais que nous utilisions pour nos terres, c’était le varech naturel récolté sur les plages. Les derniers paysans que j’ai connus sont tous morts du cancer, empoisonnés par les pesticides. »
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Le père Guion aurait encore beaucoup de choses à nous raconter, mais le tableau qu’il peint exhale le parfum d’une terre encore âpre et sauvage. Est-il possible d’en retrouver la saveur ? Probablement pas. Loin des tomates-mozzarella qui ont envahi tous les restaurants de France, on peut toutefois aller manger à L’Écailler, sur le port de La Flotte, dont la pureté éclatante est digne d’un Nicolas de Staël. Depuis avril 2025, cette institution a été reprise par deux gaillards de 26 ans : le chef Arthur Da Costa Adao (visage d’ange) et le sommelier Louis Grizeau (moustaches à la Arsène Lupin).
Deux jeunes venus de chez Christopher Coutanceau
Construite en 1652, la maison a conservé son plancher d’origine fabriqué à partir de mâts de bateau posés à même le sable. Arthur et Louis viennent tous deux de chez Christopher Coutanceau, le chef trois étoiles Michelin de La Rochelle, qui leur a inculqué l’amour du poisson de saison pêché à l’âge adulte après s’être reproduit au moins une fois : « Un poisson digne de ce nom est un poisson pêché à la ligne. »
Ces deux compères ont le mérite d’avoir constitué rapidement une équipe jeune et motivée de 15 personnes sans aucun appui financier derrière : les voici donc condamnés à réussir !
À L’Écailler, il n’est pas encore prévu de servir du ragoût de seiche… mais Arthur et Louis mettent un point d’honneur à ne sourcer que les meilleurs produits du territoire comme le thon rouge (pêché au large de La Rochelle), le lieu jaune de ligne servi nacré avec des fèves blanches à l’huile de laurier et une marinière de coquillages aux algues (un régal). L’été est la saison du homard : les meilleurs sont les vieilles femelles bien fermes dont la carapace est ornée de coquillages. Le chef les grille à la plancha sur leur carapace, « l’idée étant de faire monter la chaleur lentement dans la chair tout en la protégeant ».
Avant Coutanceau, Louis était chez Alain Passard, à L’Arpège : « Il n’y a pas de cuisine plus épurée que la sienne et c’est un rôtisseur de génie. C’est lui qui m’a fait comprendre que, quand on cuisine, on doit soi-même avoir un peu faim. Pour donner du plaisir aux gens, c’est indispensable ! »
Louis Grizeau, de son côté, est un sommelier qui aime sortir des sentiers battus en proposant des vins insolites, à l’image de son cahors blanc à base de roussanne élevé dans un fût de Corton-Charlemagne – une vraie pépite ! Formé dans un palace près d’Amsterdam, il voue un faible aux vieux goudas qu’il aime associer au grand pineau des Charentes du domaine François Ier. Surtout, la carte qu’il a mise sur pied (450 références) est accessible à toutes les bourses (à partir de 30 euros la bouteille) et se marie bien avec les produits du terroir, comme la jonchée, un très ancien fromage au lait cru frais et moulé à la louche, toujours fabriqué dans les marais rochefortais : « Nous le servons au dessert avec une compotée de rhubarbe et une infusion de géranium. Mais si vous voulez une bonne tarte aux fraises de Rivedoux, ou un soufflé au cognac de l’île de Ré, nous répondons aussi présents ! »
L’Écailler
3, quai de Sénac, 17630 La Flotte – tél. : 05 46 09 56 40.
www.lecaillerlaflotte.fr
Menu déjeuner à 55 euros, menus dîner à 80 et 120 euros.
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