Fonctionnaires : ces pensions de retraite qui gonflent artificiellement le budget des ministères
Que le gouvernement de François Bayrou tombe ou non, il faudra, dans les semaines à venir, revenir à l’autre sujet brûlant de la rentrée : le budget. Jusqu’à présent, des économies de 43,8 milliards d’euros en 2026 étaient sur la table afin d’engager le redressement des finances publiques. Le Premier ministre l’avait répété à plusieurs reprises : tout le monde devra y participer. Une fois la situation politique éclaircie, il faudra de nouveau s’atteler à la répartition de l’effort. Dans les ministères, invités eux aussi à faire leur part, un sujet pourrait cristalliser les tensions. En juin dernier, l’Institut des politiques publiques (IPP), très écouté sur les questions budgétaires, publiait une étude pointant du doigt une étonnante convention comptable utilisée pour évaluer les retraites des fonctionnaires.
Certains budgets ministériels seraient surévalués
Pour compenser le déséquilibre démographique de certains régimes spéciaux, l’Etat applique aux salaires des agents publics en activité une contribution employeur qui s’apparente très clairement à une surcotisation. Celle-ci s’élève à 74,28 % de la rémunération pour les civils et à 126,07 % pour les militaires, alors que ce taux devrait plutôt tourner autour des 34 % - contre 16,67 % dans le privé. Quitte à brouiller la lecture des comptes. "Le problème est que l’on affiche des salaires, associés à chaque mission, qui sont bien au-dessus de leur émolument réel. De la même manière, on affecte pour toutes les missions de l’Etat des dépenses plus élevées qu’elles ne devraient l’être", explique l’économiste Patrick Aubert, l’un des auteurs de l’étude.
Résultat, selon les calculs de l’IPP, certains budgets ministériels seraient surévalués. Avec une convention comptable plus adaptée et plus transparente, l’Institut a calculé que celui de l’Education nationale passerait de 81,3 milliards d’euros en 2023 à 70,7 milliards d’euros, soit un écart de 13 %. De la même façon, les crédits alloués à l’Intérieur seraient rognés de 4,2 milliards d’euros. Pour la Justice - 0,9 milliard d’euros d’écart - et l’Enseignement supérieur - 2,7 milliards d’euros d’écart -, la différence est certes moindre, mais non négligeable. "Le déséquilibre démographique devrait plutôt relever des frais généraux de l’Etat qui ne sont rattachés à aucun ministère en particulier et ne correspondent pas à une mission spécifique. Ils ne devraient donc pas être comptabilisés de cette façon", considère Patrick Aubert.
Une convention comptable, vraiment ?
Un faux problème pour François Ecalle. "C’est une convention comptable qui peut se justifier, estime l’ancien haut fonctionnaire et fondateur du site fipeco. Il n’est pas totalement anormal que, lorsqu’on parle du coût d’un ministère, on y inclut les retraites des fonctionnaires. Le taux de cotisation de près de 75 % s’explique par le fait que nous n’avons pas de régime universel en France."
Pour rendre ces données plus lisibles et moins sujettes à interprétation, l’IPP propose de séparer la contribution employeur "normale" de la subvention implicite versée par l’Etat pour équilibrer les régimes. Dans la fonction publique, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités était de 1,29 en 2020, un ratio bien plus critique que dans le régime général, où il se situait à 2,25.
"La question d’un déséquilibre lié à la démographie se posait déjà dans les années 1980, mais au lieu d’affronter le problème et de réformer, on a renfloué par-dessous. Ce subventionnement pervertit le système des retraites", regrette le juriste Michel Bouvier, spécialiste des finances publiques. Pour François Ecalle, ce débat rappelle celui du "déficit caché" des retraites, cheval de bataille de l’ancien inspecteur des Finances, Jean-Pascal Beaufret. "Pour moi, c’est un non-sujet dans le contexte actuel. Ce qui compte, c’est le déficit public total. Sa répartition entre les régimes de retraite et l’Etat est une question franco-française", considère François Ecalle.
Le 15 juillet dernier, François Bayrou avait fait de sa conférence de presse son moment de vérité pour appeler à une prise de conscience sur l’état de nos finances publiques. Bien qu’elle semble contredire les vœux du Premier ministre, cette manière de comptabiliser les retraites des fonctionnaires est-elle pour autant trompeuse ? "L’absence d’uniformité des règles entre les régimes de retraite et la disparité des conventions comptables ne constitue pas vraiment un problème de sincérité au sens où on l’entend habituellement. Il ne s’agit pas d’une intention délibérée d’être insincère. Il n’y a aucune volonté malveillante : c’est simplement l’application mécanique de règles, sans réflexion sur les conséquences", analyse Louis Bahougne, professeur agrégé de droit public et spécialiste de la comptabilité publique.
D’autant que l’information existe depuis toujours et n’est pas cachée. L’économiste Philippe Askenazy l’évoquait déjà dans une tribune en 2024 dans Le Monde. "Ce sont des jeux d’écriture à l’intérieur de l’Etat, mais c’est transparent", promet François Ecalle. Selon Louis Bahougne "le débat sur l’insincérité peut se nourrir d’un sentiment d’injustice, mais il ne s’agit pas d’un artifice comptable qui fausserait les comptes. Qu’on appelle cela "cotisation de l’Etat", "cotisation partielle" ou "subvention" ne change rien au calcul du déficit. En revanche, cela pose un vrai problème dans la manière dont les chiffres sont présentés et ensuite instrumentalisés."
L’IPP soulève un autre problème : cette convention comptable peut fausser les comparaisons internationales de dépenses en matière d’éducation, notamment les données récoltées par l’OCDE. La France étant souvent accusée de trop dépenser dans ce domaine pour peu de résultats. Un argument trompeur pour François Ecalle "car dans les autres pays, il existe aussi des cotisations et le traitement est similaire."
"Chaque pays a ses spécificités, ce qui limite les comparaisons, reconnaît Patrick Aubert de l’IPP. Il est difficile de savoir exactement ce que fait chaque pays, pour autant aucun n’a des taux aussi élevés que la France." Encore une palme tricolore dont on se serait bien passé.