L'agriculture corrézienne à l'épreuve de la crise sanitaire
Il y a quelques jours, alors que la menace du Covid-19 fonçait sur le pays à la vitesse d’un boulet de canon, Tony Cornelissen, président de la Chambre d’agriculture de la Corrèze, peinait à cacher ses angoisses. Quid des frontières ? Quid de l’avenir du cheptel de broutards ? De l’export vers l’Italie ?
« Finalement, ce n’est pas si dramatique. Le secteur agricole n’est a priori pas en crise aujourd’hui et, s’il l’est, ce sera de manière indirecte », souffle-t-il. Alors que le monde tourne désormais au ralenti, la filière agricole maintient le cap.
Jusqu'ici, tout va bienLes Français s’étant rués aux rayons boucherie aux premiers jours du confinement, le marché de la viande est au plus haut. Les ateliers italiens reçoivent toujours les camions de broutards limousins et, plus que jamais, les agriculteurs incarnent la « bouée qui peut assurer la sécurité de la société », insiste Tony Cornelissen.
Jusqu’ici, tout va bien donc. Ou pas trop mal. « On va apprendre à vivre dans le flou », admet Sandrine. Avec son compagnon, ils élèvent bovins et ovins à Chaveroche, en haute Corrèze. Jeudi, un acheteur est venu examiner un lot de broutards sur la ferme. « Dans l’idéal, ils devraient partir pour l’Italie la semaine prochaine. Mais ils n’ont pas su nous dire si ce serait possible. Ni fixer un prix. Si jamais la frontière ferme, on gardera les animaux un peu plus longtemps. Et on verra comment s’organiser… »
On est mieux à s’occuper des bêtes qu’enfermé à Paris. Bon peut-être que dans 15 jours il y aura des complications.
Dans les champs, comme ailleurs, on s’inquiète, mais sans dramatiser. « On ne va pas se plaindre, il y a pire que nous. On travaille à peu près comme d’habitude, dehors et avec le soleil. Peut-être que ce n’est que le début de la crise mais, pour l’instant, ça va », philosophe Sandrine. Rien qu’un semblant de routine en somme. Même si, en plus des bottes et des bleus, les agriculteurs ont ajouté gels hydroalcooliques et gants jetables à leur tenue de travail.
« Les gens doivent bien manger », tranche Joël, éleveur à Saint-Ybard, plus heureux que jamais de la vie au grand air. « On est mieux à s’occuper des bêtes qu’enfermé à Paris. Bon peut-être que dans 15 jours il y aura des complications. Mais c’est déjà arrivé que les frontières se ferment, pendant la fièvre catarrhale par exemple. Quand c’est comme ça, on attend, et on reprend après. »
Des crises sanitaires, les agriculteurs en ont vu passer une palanquée au cours des dernières décennies. Grippe aviaire, maladie de la « vache folle », peste porcine, fièvre catarrhale, etc. Et avec, à chaque fois, des drames et des revers terribles pour les campagnes.L’épidémie de Covid-19, c’est autre chose. Le monde entier est touché et « ce n’est pas une crise de défiance vis-à-vis de l’alimentaire et des agriculteurs. La situation est complètement inversée aujourd’hui. Le consommateur voit que l’agriculteur est le garant du système », s’enthousiasme Tony Cornelissen.
Si trop de gens sont arrêtés dans les abattoirs, les meuneries et tous les ateliers de transformation agroalimentaire, alors ça va coincer.
« Mais on est qu’au début de la crise. Là où on pourrait avoir des problèmes, c’est dans l’organisation de la filière. Si trop de gens sont arrêtés dans les abattoirs, les meuneries et tous les ateliers de transformation agroalimentaire, alors ça va coincer », nuance-t-il. En Corrèze comme dans les départements voisins, plusieurs sociétés d’abattage sont déjà obligées de refuser des bêtes, faute de personnel.
Fragilité de la chaînePascal Coste, président du Conseil départemental, abonde en son sens : « il faut prendre conscience que s’il n’y a pas un minimum de personnes qui travaillent, les magasins ne se rempliront pas tous seuls. » Chauffeurs routiers, mécaniciens, acheteurs, ouvriers et opérateurs d’usines, vétérinaires… Pour garantir l’approvisionnement et assurer la partie intermédiaire entre élevage, culture et distribution, il y a tout un monde. Et dans les bureaux des responsables politiques et économiques, c’est la solidité des très nombreux maillons de cette chaîne qui inquiète.
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Si la filière agroalimentaire corrézienne tourne « assez correctement pour le moment », la menace est réelle. Et pour y pallier, Pascal Coste compte autant sur les consommateurs que sur l’ensemble des professionnels du secteur. « La priorité, c’est bien sûr la santé. Mais si les gens font des stocks de produits de première nécessité et n’achètent plus de produits frais et si l’industrie agroalimentaire ne tourne plus, alors il y aura des risques de pénuries. »
Robin Bouctot