¨Les parents sommés de fabriquer un « enfant zéro défaut zéro bobo »
Ils eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux… Il n’y a bien que dans les contes que c’est aussi facile. Dans la vraie vie, il arrive que les rêves viennent se fracasser sur le quotidien. Attention, prévient Sylviane Giampino, psychanalyste et psychologue pour enfants, auteure de Pourquoi les pères travaillent-ils trop ? (Albin Michel), « ce n’est pas un livre de plus pour dire que les hommes n’en font pas assez. Ça, ce n’est pas mon métier ». Elle, ce qu’elle veut, c’est « pointer les entraves » qui creusent ce fossé entre « ce que les pères veulent être ou ont l’impression d’être et la réalité de ce qu’ils mettent en œuvre pour y parvenir. Des études montrent ce hiatus.
De jeunes couples désynchronisés
Dans leur référentiel de pensée, les hommes sont plus égalitaires que dans leur comportement ». 80 % des tâches ménagères reposent encore sur les épaules des femmes, 69 % des hommes pensent que ce n’est pas normal. Là, commencent les incompréhensions. « Des rancœurs s’infiltrent dans l’intimité des couples, augmentant le risque de ruptures conjugales ». Alors, son souci, ajoute-t-elle aussitôt, ce n’est pas que des couples se séparent, voilà une liberté acquise, mais « que des pères et des mères qui auraient pu poursuivre leur chemin ensemble se quittent pour de mauvaises raisons : en raison de ces « mensonges » véhiculés par les médias sur la représentation des hommes, entre autres.
« Les femmes, qui elles ont beaucoup changé leurs rapports aux enfants et au travail, entrent dans la conjugalité avec des promesses et se retrouvent au bout de quelques années face à des schémas qui n’ont pas progressé »
Tromperie sur la marchandise ? « Le couple est égalitaire à deux, résiste en principe à la naissance du premier enfant, mais dès le deuxième, les femmes réaménagent leur vie professionnelle et, les hommes, la leur, dans l’autre sens », poursuit Sylviane Giampino, par ailleurs vice-présidente du Haut conseil de la famille, de l’enfance et des personnes âgées. « Les jeunes couples sont déstabilisés car les jeunes femmes et les jeunes hommes sont désynchronisés ».
Une paternité ambiguë
Bien entendu que les pères ont changé, valide-t-elle sans hésiter, et la société avec. « Il y a trois générations, un homme s’occupant de ses enfants prenait le risque d’être jugé moins viril, il y a deux générations, on le considérait comme un héros, un innovateur. Aujourd’hui, cela s’est banalisé ». N’empêche, ce « livre avait besoin d’être écrit car cette paternité, ambiguë et sélective, conserve en elle les stigmates d’une répartition genrée » quantativement et qualitativement. « Les hommes accèdent au principe de plaisir, mais ne se sont pas emparés du principe de réalité de la charge familiale ».
En clair : à eux, le « relationnel », l’« éducatif au sens noble », les « jeux ». À elles, les tâches de soin et d’éducation, à savoir « les plus répétitives, les plus ingrates, les plus invisibles ». C’est, cite la psychologue, faire en sorte que « la chambre soit rangée ou le jogging prêt pour la gym… ». La fameuse « charge mentale ». Beaucoup d’hommes vivent « comme une agression », explique-t-elle, le résultat des enquêtes sur le partage des tâches car « ils ne se rendent pas compte de cette répartition genrée. Ils ont le sentiment, eux, d’en faire beaucoup plus que leur père».
Parents culpabilisésSylviane Giampino voudrait « éclairer » les couples sur ces dissonances nocives : « Des enfants vivent dans un climat familial orageux alors que l’on pourrait faire autrement grâce à une meilleure articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale ». Elle sait le « mécanisme d’anxiété » qui pèse sur les parents, sommés de « fabriquer un enfant zéro défaut zéro bobo » et taillé pour réussir dans un monde hostile. « Les injonctions du bien-faire parental les surchargent alors même que les modalités modernes d’accélération sont contradictoires avec le développement harmonieux des enfants. Dictature du « toujours plus tôt ». Au final, la relation parents/enfant s’en trouve perturbée.
La psychologue refuse de livrer des conseils à des parents déjà abreuvés de bonne parentalité et qu’on culpabilise. « Si la relation homme/femme n’était pas agressée de la sorte, les parents retrouveraient un équilibre intime et, en eux-mêmes, des qualités parentales. C’est à l’entreprise et aux politiques publiques de s’adapter car il en va de la performance même des salariés et du bien-être des générations futures. Ce n’est pas faire du social ! »
Florence Chédotal