La Creuse s'est mobilisée en masse contre la réforme des retraites
La journée de grève du jeudi 19 janvier a battu des records en Creuse. Les autorités ont estimé à 4.100 le nombre de manifestants venus protester à Guéret contre le report de l’âge légal de départ à la retraite. En 2019, 2.100 personnes avaient fait le déplacement.
Le mercure pointe à zéro et ne daigne pas monter ce jeudi 19 janvier au matin. Alors qu’au contraire, le nombre de manifestants mobilisés à la gare routière de Guéret ne cesse de croître. Les drapeaux syndicaux et les pancartes se mêlent au-dessus de la foule. Stupeur des badauds avant même le départ du cortège prévu à dix heures : « Dis donc, il y a du monde… Ils sont plus de 1.000, ça c’est sûr ».
4.100 manifestantsEffectivement : ils sont 4.100 selon les autorités à s’être rassemblés à Guéret pour dénoncer la réforme des retraites. De tous les âges, de toutes les professions… Mais aussi avec d’autres revendications. C’est le cas de Christelle, 47 ans et d’Isabelle, 56 ans. Les deux femmes, vêtues d’une blouse blanche où figure en rouge « aides-soignantes en grève » travaillent toutes deux à l’Ehpad d’Ajain.
Retrouvez le direct de la manifestation en Auvergne et Limousin
Christelle l’avoue : « Avec la pénibilité et le manque de bras dans notre métier, on ne pourra pas aller jusqu’à 64 ans ». Voilà, selon elle, trois ans que le Covid a réveillé les manques du milieu hospitalier en France. « Mais ça ne bouge pas… Nous sommes dans la mouise et rien ne bouge ! », déplore-t-elle.
Sa collègue Isabelle ajoute « Quand on parle d’humain, il faut arrêter de penser rentabilité ». Elle aussi déplore le manque de bras expliquant que dans l’établissement d’Ajain, il y a seulement quatre personnes pour s’occuper de 211 résidents la nuit.
C’est pas qu’on ne veut pas travailler. Ce sont plutôt les conditions actuelles qui nous posent problème. On ne peut pas aller jusqu’à pas d’âge dans ces conditions.
La mobilisation contre la réforme des retraites est donc aussi l’occasion de porter la voix d’un milieu hospitalier en grande difficulté.
Retour en images sur cette matinée de manifestation à Guéret
Même chose pour le personnel éducatif. Alice, 47 ans, conteste la réforme. « Je n’ai pas envie de finir sur les rotules, sans retraite convenable car malade », mais aussi ses conditions de travail. « On nous demande toujours plus sans nous donner les moyens, comme avec l’école inclusive ». Face à cette charge mentale, elle appuie : « À force, on va finir par prendre plein d’arrêts maladie même avant l’âge de retraite ». Car tout est lié.
Tristan s’inquiète aussi, mais pas pour lui. Le jeune homme de 30 ans affirme : « Je suis là pour ma mère, elle est professeure et donne des cours de céramique à côté. Elle cumule ainsi deux emplois et deux enfants à élever seule ». Son fils, artisan céramiste, aimerait « qu’elle puisse profiter de la vie à son tour ». Pour lui, la retraite semble lointaine. « D’ici là, avec la crise écologique, on cherchera déjà de quoi manger et boire. » D’ailleurs, il recycle volontiers le slogan sur sa pancarte d’une manifestation écologiste : « Nous ne défendons pas la retraite, nous sommes la retraite qui se défend ».
Si certains sont encore loin de la retraite, d’autres y sont de plain-pied. Cela ne les a pas empêchés de se déplacer. Marjolaine a 77 ans et confirme :
Je ne suis pas là pour mes intérêts personnels mais j’ai bénéficié des acquis des générations précédentes. Alors, je suis là pour les générations futures.
L’agricultrice retraitée soulève le drapeau de la Confédération paysanne. Béret noir et canne à la main, elle se remémore sa fin de carrière. « Il valait mieux vendre les vaches plutôt que d’attendre la relève. ». Le métier, comme les acquis sociaux, semblent se perdre…
Véronique se sent bien placée pour dénoncer la réforme. Elle travaille dans l’administration à la sécurité sociale : « Je vois le nombre de personnes qui finissent en invalidité ». La quadragénaire estime qu’elle « [s’y connaît] assez en matière de pénibilité », elle qui a travaillé dans la restauration. Et pour l’argument du coût des retraites, elle rappelle que « les invalidités aussi, ça coûte cher au contribuable ».
Une homonyme la soutient. Cette autre Véronique a 65 ans. Elle est retraitée : « Les meilleures années de la retraite, c’est les premières, avant d’aller moins bien ». Ancienne directrice d’école dans la Seine-Saint-Denis, elle aurait aimé être mutée en Creuse pour y finir sa carrière après son cancer. Cela lui a été refusé. La néo-Falloise martèle : « Il faut 20 ans pour grandir et apprendre puis 20 ans de retraite. S’ils cherchent de l’argent pour financer cela, les multimillionnaires en ont tellement de plus en plus qu’ils ne peuvent même plus vraiment en profiter ».
Quoi qu’il en soit, « il s’agit d’un ras-le-bol global » selon Marie, ancienne infirmière libérale. En atteste la pluralité des âges et des drapeaux. Pierre, son mari, reprend:
Il y a évidemment cette réforme dégueulasse des retraites, mais aussi l’écologie, les problématiques de santé et d’éducation. C’est ça, la convergence des luttes.
Alors que le cortège avance au rythme des sifflets et des pétards, Marie, elle, avoue qu’elle se sent rassurer. « Quand je vois le monde qu’il y a ce matin, je me sens moins seule à être indignée. »
Textes : Léo Candas et Charlotte MathiotPhotos : Bruno Barlier