Présidentielle 2027 : Raphaël Glucksmann - Olivier Faure, récit d'une fêlure
7 mai 2025 à Strasbourg, commémorations des 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En immersion au Parlement européen, Olivier Faure croise la maître des lieux, Roberta Metsola, s’entretient avec le président du Conseil européen Antonio Costa, partage un café avec Stéphane Séjourné, commissaire à l’industrie, aux PME et au Marché unique… Le patron des socialistes n’est pas ministre, contrairement à ce que laisserait penser son agenda, il est au contraire une personnalité en quête d’envergure. Alors les moments forts de la journée sont immortalisés, publiés sur les réseaux sociaux. Ses plus fidèles lieutenants sont bien sûr de la mise en scène. Mais lorsqu’un être, un seul, manque à l’image…
Où est passé Raphaël Glucksmann ? Les deux hommes se voient tout de même, à l’abri des regards indiscrets. En réalité, ils sont presque convoqués - non pas dans le bureau de la directrice, mais dans celui de la coprésidente des socialistes français. 45 minutes d’entrevue et quelques bulles, car Nora Mebarek leur passe un savon. Elle désespère de la manière dont est déployée cette concurrence, carburant à malveillances disséminées dans la presse. Alors elle met les choses au clair : "Parlez-vous, arrêtez de faire parler les autres à votre place. L’un contre l’autre, il n’y a d’avenir pour aucun de vous deux." Quand Olivier Faure et Raphaël Glucksmann célèbrent la paix, leurs amis les somment d’arrêter la gué-guerre.
Obsédante interrogation à gauche
"Raphaël, je ne comprends pas ton truc." Le dire, c’est comprendre que Glucksmann ne peut pas, ne peut plus être d’accord avec Olivier Faure. Le raconter, c’est narrer l’histoire d’un binôme égratigné par cette obsédante, fracturante interrogation à bâbord. Le patron du Parti socialiste veut la gauche riche de sa pluralité, et souhaite ses dignes représentants départagés par une primaire en 2027. Celui de Place publique croit les gauches irréconciliables, polarisées entre deux camps, et arbitrées à la fin des fins par les sondages. Faure et Glucksmann, c’est aussi le récit d’une méfiance grandissante. L’histoire est taquine. "Faure, c’est le seul qui est fiable", glissera un jour de 2018 Jean-Luc Mélenchon à ce jeune nouveau en politique, désireux de dépoussiérer et d’unir la gauche. Mais quand le premier des socialistes clame sa rupture avec le patriarche insoumis, l’eurodéputé est circonspect (rien n’est simple à gauche) par capillarité - les amis "unitaires" du premier secrétaire PS ne lui inspirent guère confiance. Plus vraiment côte à côte, pas encore face à face, les deux hommes cultivent aujourd’hui une divergence stratégique de taille et quelques ambitions similaires, ce qui fait déjà beaucoup.
Ce sont deux porte-flingues, mais face aux Pixies, dans la pénombre d’une salle de concert, les âmes les moins bienveillantes savent aussi se réchauffer. Quand le socialiste Luc Broussy et la coprésidente de Place publique Aurore Lalucq s’y retrouvent par hasard, ils décident de prendre date. Pas seulement pour disserter sur ces virtuoses du rock alternatif états-unien. C’est le printemps 2025, il est temps d’autopsier les fêlures, prévenir des ruptures, et répondre à une lancinante interrogation : que s’est-il réellement passé entre Raphaël Glucksmann et Olivier Faure ? Est-ce une affaire d’entourages ? Une croissante et profonde inimitié entre deux hommes ? Peut-être s’agit-il surtout d’un cumul de vexations successives au gré de la campagne européenne, aussi triomphale pour l’ancien essayiste qu’encombrante pour le premier secrétaire ? "Si tout le monde a ses versions, c’est peut-être qu’il n’y a pas de version…", songe Broussy. Lalucq est un brin moins philosophe. "C’est à cause du Nouveau Front populaire…", rumine-t-elle.
Nuit bleue à Paris, une déflagration française. Le 9 juin 2024, Raphaël Glucksmann discourt et Olivier Faure court les plateaux télévisés. Le ministre Gérald Darmanin, qu’il croise sur TF1, le met au parfum de la suite de la soirée. "Dissolution", textote alors le patron du PS à ses proches. À La Bellevilloise, les destinataires de la nouvelle alternent, un regard vers la scène où claironne l’ancien essayiste, un autre sur leur smartphone où le monde s’effondre. Péché originel bien connu, Glucksmann et ses troupes ne pardonneront pas à Olivier Faure et aux siens d’avoir fait alliance avec les insoumis, de ne pas avoir suffisamment fait pression sur les écologistes pour les maintenir à bon port, loin du hors-bord Mélenchon. Première rupture. Sur France Inter, alors qu’il annonce dans la douleur son ralliement au NFP, Raphaël Glucksmann est interpellé par un auditeur. "Si je comprends bien, quand on est juif de gauche, on choisit le moindre mal entre le camp de l’antisémitisme résiduel […] et l’antisémitisme systémique du RN". Quand il repense plus tard à cet épisode, une interrogation existentielle le traverse : "Peut-on faire de la politique sans tomber dans une vie de mensonges ?" Comme une deuxième rupture, même si c’est la même.
"Tous ces gens qui pensent avoir un destin…"
Le Nouveau Front populaire est si loin aujourd’hui, et les rivalités feutrées pointent leur bout. "Tous ces gens qui pensent avoir un destin…", chuchote parfois Olivier Faure, marmoréen. Avec le patron de Place publique, depuis que le contact a repris voilà plus d’un an, la conversation tourne en rond. "Si tu n’arrives pas à gagner une primaire, comment gagner la présidentielle ?", lui glisse Faure le mois dernier, las de ses innombrables refus d’y participer. Lui n’a jamais eu d’ambition débordante, mais la perspective d’être le candidat de la gauche unie en 2027, sans Mélenchon, lui va tout aussi bien. Après plus de sept ans à la tête du Parti socialiste, ses amis aimeraient qu’il se voie Soleil un jour. Alors à qui veut l’entendre, ils listent les nouvelles relations, preuve que le chef chercherait à étoffer son carnet d’adresses, ses réseaux dans la société. Il n’était pourtant pas friand de théâtre - l’un de ses amis l’y avait difficilement traîné voilà quelques années -, le voici dînant avec l’acteur Jean-Philippe Daguerre, invitant à l’Assemblée les metteurs Jean-Marie Galey et Teresa Ovidio, se liant d’amitié avec des directeurs de théâtre - un homme de gauche soutient la culture. Car quand les soutiens de Raphaël Glucksmann claironnent que l’auteur du best-seller Les Enfants du vide (Allary, 2018) et l’apparatchik ne sont pas "faits du même bois", le sous-entendu est dans la façon de définir l’antagonisme. Après tout, Olivier Faure tient peut-être davantage à orchestrer l’unité de la gauche hors-LFI qu’à se sacrifier sur l’autel d’une présidentielle ratée. Il lit les sondages, y oscille si bas dans le classement, n’y figure même plus parfois. Et Glucksmann, au coude à coude avec Jean-Luc Mélenchon, si proche du second tour. "Ne te fie pas à ça, nous, les premiers secrétaires du PS, on n’est jamais très haut", le rassure un jour un ancien, Jean-Christophe Cambadélis.
Définir, c’est limiter, et se définir, c’est parfois se fâcher avec des amis de longue date. Lorsque Raphaël Glucksmann lorgne vers le centre, son lieutenant le plus cher, Pierre Natnaël Bussière, rompt par voie de presse avec l’Européen, Olivier Faure le lit, lui propose d’échanger. Le café n’a jamais lieu. Et puis Bussière, parti travailler avec Gabriel Zucman, ne porte pas vraiment dans son cœur le patron du PS. "Faure est le chef de parti le plus creux que j’ai croisé. Les idées ne l’intéressent absolument pas, seule la petite tactique d’apparatchik compte, à n’importe quel prix. De ce point de vue, son abandon pitoyable de la taxe Zucman dans la négociation avec Lecornu est d’une stupéfiante clarté", fulmine-t-il. Attrape-moi si tu peux. Les mauvaises langues diront alors du PS et de son patron que leur posture de compromis avec l’exécutif, couplée d’une franche rupture avec LFI, est une tentative d’asphyxie de Place publique. Une blague circule depuis, à gauche. "Faure, c’est le gagnant d’un congrès qui adopte la ligne des perdants." Ceux-là même, qui se sont trouvé un nouveau poulain, une figure de proue, dans leur refus d’emmener le parti dans une primaire.
"Monsieur Hollande, votre candidat Glucksmann…"
Ou un cheval de Troie. Raphaël Glucksmann ne loupe plus une miette de ces rendez-vous de la gauche modérée, organisés par les opposants d’Olivier Faure, hier pour le congrès des roses, aujourd’hui pour la présidentielle. Le voilà devenu la coqueluche de l’aile droite du parti, de ces autres éléphants, ceux-là mêmes qui accusaient alors le patron "d’effacer" le PS en donnant pour la première fois les clés de la liste européenne au leader de Place publique. "Seule la présence de Raphaël à ces réunions me blesse vraiment. Nous avons tout entrepris ensemble depuis 2019. […] Enfin – surtout, devrais-je écrire –, la politique n’exclut pas l’amitié et les déceptions qui y sont liées", écrira Faure à ce sujet dans son livre, Je reviens te chercher (Robert Laffont, 2025). L’eurodéputé défriche un espace, parviendra-t-il à l’incarner ? Comme on dit dans la "vieille maison", il n’y a pas plus patriote qu’un socialiste. Un proche d’Olivier Faure a vu les images de Raphaël Glucksmann à Lyon lors des journées d’Hélène Geoffroy, aux côtés de Carole Delga, François Hollande, et bien d’autres ambitieux". "Un agneau dans un congrès de bouchers", sourit-il.
18 novembre. Une nuit budgétaire aussi existentielle pour le Parti socialiste d’Olivier Faure que longue et éreintante pour ses troupes. Aurélien Rousseau, le "Monsieur élections" de Place publique, le président du groupe socialiste Boris Vallaud, et le député de Corrèze, François Hollande, s’octroient malgré tout un moment de détente à la buvette. Ce soir, Raphaël Glucksmann est là aussi, à la télévision. Une grande émission sur LCI, une prestation en clair-obscur. Mais sans doute parce qu’il souhaite passer un message de solidarité à la gauche, l’un des serveurs se montre aimable : "Monsieur Hollande, votre candidat Glucksmann, il a été vraiment super ce soir". Aurélien Rousseau étouffe un fou rire. "Alors, hum… C’est un peu plus compliqué que ça !"
