Pourquoi le Brexit peut malgré tout donner naissance à une Europe à la carte
Le 27 juin, les ministres français et allemand des Affaires étrangères ont annoncé la couleur en lançant un appel commun depuis Berlin à renforcer l'intégration "politique". "Nous allons faire de nouvelles avancées en direction d'une union politique en Europe, et nous invitons les autres Etats européens à nous rejoindre dans cette entreprise", écrivent Frank-Walter Steinmeier et Jean-Marc Ayrault.
Mais à défaut de propositions concrètes, les dirigeants européens ont averti ce mercredi le Royaume-Uni qu'il ne pourra pas négocier un accès "à la carte" au marché unique après sa sortie de l'UE, rejetant toute velléité de Londres de restreindre la libre circulation des personnes.
"Les dirigeants ont clairement dit que l'accès au marché unique nécessite d'accepter les quatre libertés (fondamentales de l'UE, NDLR), y compris la liberté de mouvement", a martelé le président du Conseil européen Donald Tusk à l'issue d'un sommet à Bruxelles.
Lire aussi : L'Ecosse doit faire face à un ennemi inattendu pour rester dans l'UE
Pas de marché à la carte? D'accord. Mais les institutions européennes, elles, pourraient bien le devenir. Brexit ou non, l'Union européenne a toujours le même problème. Derrière l'unité de façade, les 28 ont du mal à s'accorder, jusqu'au couple franco-allemand. Ce week-end, François Hollande et son homologue italien Matteo Renzi ont appelé à une sortie rapide du Royaume-Uni de l'UE, alors que l'Allemagne aimerait lui laisser du temps pour se raviser.
L'Allemagne perd un soutien de l'Europe libérale
En effet, avec le Brexit, l'Allemagne perdrait un allié objectif dans son combat pour une Europe libérale et budgétairement rigoureuse, face à des pays plus à gauche comme la France, l'Italie et l'Espagne. La Hollande, le Danemark, la Suède, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne, sont sur la même ligne que l'Allemagne.
En clair, loin d'une Europe fédérale, les négociations à venir pourraient mettre au jour les tensions au sein même de l'Union, reléguant le Brexit au second plan pour un moment. A tel point que la naissance d'une Europe à la carte pourrait être la seule solution capable d'assurer un avenir à l'Union.
Pour commencer, un statu quo aurait un effet déplorable sur l'opinion publique. L'immobilisme face à la crise? Des alliés du Royaume-Uni comme la Suède et la République tchèque risqueraient à leur tour d'organiser un référendum sur la sortie de l'Union.
Ensuite, parce que cette voie a déjà été explorée. Après avoir rejeté le traité de Lisbonne en 2008, l'Irlande a obtenu des concessions avant de le soumettre une seconde fois, avec succès, à sa population en 2009. Et en février, David Cameron avait négocié avec l’UE la liberté de conserver ses règles fiscales, sociales, de ne pas appliquer toutes les règles financières européennes, ainsi que les règles de libre circulation des personnes, afin de convaincre les Britanniques de rester dans l'UE, n'en déplaise à Donald Tusk.
"Le rejet de l’interventionnisme européen conduirait donc à la multiplication des coopérations renforcées: des groupes à géométrie variable de pays, différents d’un sujet à l’autre, se formeraient autour de certains sujets, dans certains domaines. Les pays choisiraient librement avec quels autres pays ils coopéreraient ou non sur chaque sujet", analyse Patrick Artus, économiste en chef de la banque Natxis, dans une note du 14 juin.
Cette évolution présenterait l'avantage de faire avancer plus rapidement certains dossiers, comme l'explique Natixis.
- Dans le domaine de l’énergie, des pays pourraient se lancer dans une harmonisation de leur production, alors que les politiques actuelles sont disparates (arrêt du nucléaire en Allemagne, limitation de la production en France...).
- Dans le domaine du climat, des pays comme la France peuvent vouloir aller plus vite pour la fixation du prix du CO2.
- Dans le domaine des migrations, avec une application des accords de Shengen à géométrie variable, notamment en Europe centrale.
- Dans le domaine industriel pour la création de grands groupes internationaux, sur le modèle d’Airbus
- Dans le domaine de l'harmonisation fiscale, alors qu’elle est actuellement inexistante.
- Dans le domaine monétaire, avec les pays de la zone euro et les autres. "Il faut rappeler ici que, si un pays n’est pas dans la zone euro, il n’y a aucune raison de coordonner ses politiques budgétaires, ses politiques de compétitivité… avec celles des autres pays, l’ajustement se faisant par les taux d’intérêt ou le taux de change. Le Royaume-Uni, par exemple, peut parfaitement choisir d’avoir un déficit public et un déficit extérieur de grandes tailles", souligne Natixis.
Cette nouvelle souplesse de l'Union européenne mettrait un terme à la plupart des débats actuels sur la gouvernance européenne, le pouvoir de la Commission, et le sens de l'intégration. En revanche, il rendrait le projet européen difficilement lisible.
Lire aussi :
• Pourquoi le Brexit peut encore faire "pschitt"
• Le Royaume-Uni s'enfonce dans la tempête et l'UE s'impatiente
• Ces pays préparent les prochains avis de tempêtes sur le projet européen
• Pour suivre les dernières actualités en direct sur Le HuffPost, cliquez ici
• Tous les matins, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost
• Retrouvez-nous sur notre page Facebook