Retraites complémentaires : un accord avec un grand trou au milieu…
C’est un classique des négociations sociales : lorsqu’on prédit l’échec, le patronat et les syndicats « réformistes » trouvent presque toujours un compromis plus ou moins bancal. La négociation « de la dernière chance pour sauver les retraites complémentaires » a confirmé la règle. Ce vendredi 16 octobre à 17h30, le négociateur du Medef a signifié aux syndicats la fin des pourparlers et leur a donné deux heures pour se prononcer. La CGT et FO ont immédiatement signifié leur refus. La CFDT, la CGC et la CFTC ont pris leur temps pour faire connaître leur approbation.
Le dispositif proposé par le patronat (Medef, mais aussi CGPME et UPA), n’est rien moins qu’une petite réforme des retraites pour pas moins de 18 millions de salariés du privé qui cotisent à l’Arrco (tous les salariés) ou à l’Agirc (les cadres). Grosso modo, il faudra travailler jusqu’à 63 ans (au lieu de 62 ans) et avoir cotisé au moins 42,5 années (170 trimestres) et cotiser un an de plus (c’est à dire jusqu’à l‘âge de 63 ans et 42,5 années de cotisation au lieu de 166 trimestres) pour toucher sa retraite complémentaire à taux plein… Ce n’est pas négligeable lorsqu’on sait que la complémentaire représente entre 30% et 60% des revenus des retraités (le reste c’est la retraite de la CNAV, la sécu). On a vu des cortèges dans les rues pour moins que ça…
Les partenaires signataires pourront se targuer d’avoir « sauver le seul régime de protection sociale réellement paritaire », le fait est que ce sont les salariés qui devront payer la note. Car il y a un énorme hic dans cette réforme : près de 41% des seniors du secteur privé ne sont plus dans l’emploi (chiffres Insee) au moment de liquider leurs retraites. Pour ces derniers, note l’Insee : « les trajectoires de fin de carrière sont marquées par le chômage, les problèmes de santé, la préretraite ou encore les contraintes familiales. » Donc pour travailler un an de plus, afin d’éviter une baisse des pensions complémentaires de 10% pendant trois ans, on peut prédire que ce sera coton.
La CFDT affirme d’ailleurs qu’elle cherche à négocier encore un dispositif pour ces personnes d’ici le 30 octobre… Hélas, le problème est structurel : si les seniors ne trouvent guère d’emploi, c’est tout simplement parce que le marché du travail est pour eux…inexistant ! Et on peut douter que d’ici 2019 (date d’entrée en vigueur de l’accord), le taux de chômage (10,5% actuellement) tombe à un niveau tel (5% par exemple) que les entreprises se mettent enfin à proposer leurs postes à des quinquagénaires voire des sexagénaires demandeurs d’emplois…
L’accord lui-même est un chef d’œuvre de la négociation sociale, et ce n’est pas un compliment. Le négociateur en chef du Medef, Claude Tendil, a offert à chacune des organisations signataires un petit trophée à rapporter auprès de ses clientèles. A la CFDT il a concédé une référence à la durée de cotisation (c’est son totem depuis la réforme Raffarin de 2004). Pour amadouer la CGC (cadres), il a assuré d’une future négociation sur un « statut des cadres ». A la CFTC, qui défend les femmes et la famille, il a promis la pérennité des pensions de reversions pour les veufs et veuves.
Le Medef lui-même a sa petite cerise : si les cotisations patronales à l’Agirc et à l’Arrco vont bien augmenter de 500 millions d’euros, ce sera en échange d’une baisse équivalentes des celles versées à la caisse des accidents du travail-maladies du travail (AT-MP) de la sécurité sociale. En somme, les malades et les éclopés du boulot financeront les pensions des retraités du travail… Il faudra certes l’accord du gouvernement. Mais celui-ci sera tellement heureux de pouvoir démontrer à Bruxelles qu’il réalise les réformes souhaitées (celle des régimes complémentaires sont notées expressément dans l’agenda des réformes de la Commission européenne), qu’il ne pourra qu’accepter.
Michel sapin ne cachait pas, depuis des mois déjà, auprès des journalistes qu’il attendait que les « partenaires sociaux assument leurs responsabilités », en clair fassent le sale boulot. Manuel Valls a dit sa satisfaction dès l’annonce de la signature. Lundi prochain, François Hollande pourra ouvrir sa conférence sociale avec le sourire…