L’humanité doit retrouver sa vraie place au sein de la nature
Dieu était un absolu, puis ce fut l’être humain, c’est maintenant à la vie naturelle qu’il faudrait donner ce rôle central. La vie humaine n’est plus un absolu, elle ne vaut pas plus que les autres, l’homme n’étant, dirait Jean Rostand, qu’un arrière-petit-neveu de la limace, qui inventa le calcul intégral et qui rêva de justice.
À la lueur d’une luciole. Une chronique de Charles Delhez.
L'humanisme a eu ses heures de gloire jusqu'au XXe siècle, qui fut cependant le plus cruel de l'histoire. De nos jours, il n'a plus le vent en poupe. Après le théocentrisme, où tout venait de Dieu, la morale comme la politique, nous avions abordé, à la Renaissance, aux rivages de l'humanisme. L'homme, enfin libre, ne comptait plus que sur lui-même pour accomplir sa "légende personnelle" (Paolo Coelho).
Aujourd’hui, le procès est ouvert contre cette espèce animale invasive, le fameux homo sapiens. L’humanisme est désormais considéré par certains penseurs comme un anthropocentrisme dévié et pernicieux, mettant l’individu au centre de tout, et un spécisme, sapiens se croyant à part dans le règne animal, alors qu’il n’est qu’un animal humain au milieu d’animaux non humains.
Qui sommes-nous donc ?
Dieu était un absolu, puis ce fut l’être humain, c’est maintenant à la vie naturelle qu’il faudrait donner ce rôle central. La vie humaine n’est plus un absolu, elle ne vaut pas plus que les autres, l’homme n’étant, dirait Jean Rostand, qu’un arrière-petit-neveu de la limace, qui inventa le calcul intégral et qui rêva de justice. Après le drame de l’humanisme athée stigmatisé par Henri de Lubac, voici donc celui de l’humanisme nihiliste.
Selon le livre de Yuval Noah Harari Sapiens, au top 10 des ventes durant environ trois ans, et son deuxième tome, Homo deus, l'homme, de plus en plus considéré comme un ensemble de data, est un loup pour la nature. Jadis il était la mesure de toute chose, maintenant il est devenu le fossoyeur universel, semant la mort partout. On ne peut certes le nier, mais sans oublier que la vie elle-même est un cycle de vie et de mort. Le grain de blé doit mourir pour que l'épi croisse. Le lion ne peut demeurer lion que s'il mange des gazelles.
Nous sommes entrés dans l’ère du naturocentrisme et, en chemin, nous avons perdu l’homme. Il n’y a plus rien d’universel (2). Mais qui donc sera là pour donner de la valeur à la nature et pour dire qu’elle en a ? Qui, finalement, aura le souci de l’équilibre de la planète ? Ce sont paradoxalement les humains eux-mêmes qui parlent d’écologie, ceux mêmes qui trop souvent ont failli à leur tâche, allant parfois jusqu’au génocide ! Le lion d’Afrique se contente de régner sur sa brousse sans se préoccuper de la fonte des glaces qui menace l’ours blanc. L’homme s’en inquiète, même s’il est souvent incohérent.
De l’hominisation à l’humanisation
Nous avons passé le cap de l’hominisation, encore faut-il poursuivre notre humanisation. Ne faudrait-il pas, aujourd’hui, inventer un nouvel humanisme ? Non plus anthropocentré ou égocentré, mais écocentré, en communion avec la nature ? Homo sapiens s’est détaché de la nature et nous savons ce qu’il en a fait. Or, notre maîtrise ne supprime pas notre dépendance. Ne serait-il pas temps de découvrir que nous ne sommes rien sans elle, que la Terre existait bien avant nous et qu’elle pourrait continuer sans nous ?
L'humanité doit retrouver sa vraie place au sein de cette nature dont il est sans doute le maître, vu son cerveau supérieur, mais aussi le serviteur. Il y va de sa survie à lui. "Nous sommes appelés à une domination non pas prédatrice, mais d'humble service" (2) (E. Charmetant et J. Gué), et même à une "réciprocité responsable" (pape François). Loin de tout despotisme utilitariste, osons parler, à la manière de saint François, d'une fraternité cosmique avec toutes les créatures.
Ce qui distingue l’homme de tout animal, estimait Jean-Jacques Rousseau, c’est notre faculté de perfectionnement et, devrait-on ajouter, notre désir de vouloir perfectionner le monde. Si donc le vivant humain peut s’estimer au-dessus de l’animal, cette supériorité n’est pas de domination, mais de responsabilité. N’avons-nous pas été appelés à cultiver et à garder le jardin, selon la Genèse (2, 15) ? La planète est remise entre ses mains. Prétention démesurée ? À chacun d’en décider.
(1) Membre de l’équipe porteuse de RivEspérance.
(2) D’où le Plaidoyer pour l’universel, de Francis Wolff (Fayard 2019).
(3) E. Charmetant et J. Gué, Parcours spirituel pour une conversion écologique (Vie chrétienne 2020).