"The Card Counter": L’éternelle rédemption de Paul Schrader
Alors que les salles de cinémas peuvent rouvrir, l'excellent "The Card Counter" sort dès ce mercredi dans les salles déjà rouvertes. Paul Schrader plonge Oscar Isaac dans un polar poisseux, qui ausculte la mauvaise conscience américaine post-Guerre en Irak.
Au fil des ans, Paul Schrader a vu son étoile faiblir, le cinéaste oscillant entre films complètement ratés (comme The Canyons avec Lindsay Lohan en 2013) ou pépites indépendantes (comme First Reformed en 2017). En septembre dernier, l'ancien scénariste de Scorsese et De Palma faisait un retour remarqué, en Compétition de la 78e Mostra de Venise, avec The Card Counter. "Présenté par Martin Scorsese", une œuvre puissante dans la lignée de toute sa filmographie, où il aborde une fois encore la question de la culpabilité et de la rédemption.
Condamné à 10 ans de détention pour ses exactions dans la prison d’Abou Ghraib en Irak, William Tell (Oscar Isaac) n’a pas perdu son temps. Enfermé entre les quatre murs d’une prison militaire, il a appris à compter les cartes. Depuis sa sortie, Bill va de casino miteux en casino miteux, logeant dans des chambres de motels anonymes. Son truc, c’est de ne pas se faire remarquer. Du coup, il mise peu et gagne peu, mais ça lui suffit pour tenter d’oublier son passé violent.
Deux rencontres vont venir bouleverser cette existence sous les radars. Tout d’abord celle de La Linda (Tiffany Haddish) qui, à la tête d’une écurie de joueurs de poker, lui propose de financer sa participation aux tournois professionnels des World Series of Poker. Et celle du jeune Cirk (Tye Sheridan), qu’il veut aider à reprendre ses études, tout en le détournant de son projet de venger son père, ancien militaire américain formé à la torture à Abou Ghraib par John Gordo (Willem Dafoe)…
De Taxi Driver à The Card Counter
Peut-on laisser derrière soi un passé traumatisant et vivre avec les conséquences de ses actes ? Le parcours de William Tell est peu ou prou le même que celui d'un certain William Travis dans Taxi Driver de Scorsese en 1976 (l'un des scénarios les plus célèbres de Schrad er, avec ceux de Raging Bull ou d'American Gigolo). Dans The Card Counter, la guerre en Irak a remplacé celle du Vietnam, mais la question posée est la même : quel est le poids, inconscient ou non, sur les individus de la politique menée par leur pays ?
Le regard posé par Paul Schrader sur les États-Unis est toujours aussi désabusé, partagé entre la grandeur d’une nation qui revendique la liberté et le constat d’échec de ces idéaux revendiqués. Une fable patriotique hypocrite symbolisée à l’écran par ce joueur de poker habillé de pieds en cape de la Bannière étoilée, se faisant appeler "Mister USA". Comme la caricature pathétique d’un pays à la dérive…
Toujours hanté par la religion, Paul Schrader offre à Oscar Isaac un grand rôle, celui d'un homme en quête du rachat de ses péchés. Révélé dans Drive en 2011 et surtout dans Inside Llewyn Davis des frères Coen en 2012 et A Most Violent Year de J.C. Chandor en 2014, l'acteur (revu depuis dans Star Wars, X-Men ou Dune ) est une nouvelle fois impressionnant. s'impose une fois de plus, avec ce rôle dur, dans la cour des tout grands d'Hollywood.
Un cinéaste toujours en recherche
Avec ce film de vengeance désenchanté, dont il signe le scénario original, Paul Schrader se pose, à 75 ans, comme l’un des observateurs les plus critiques de la société américaine. Mais aussi comme un réalisateur qui, contrairement à son complice Martin Scorsese, a choisi de persévérer dans la voie initiée dans les années 1970. Celle d’un cinéma adulte dans ses thématiques, mais qui continue aussi, formellement, de chercher.
The Card Counter séduit, non seulement par ce qu'il a à dire sur les États-Unis, mais aussi par la précision et l'inventivité de la mise en scène avec laquelle il le dit. Notamment dans les scènes de flashbacks cauchemardesques qui évoquent l'enfer d'Abou Ghraib, donnant une vision palpable de la mauvaise conscience américaine…
The Card Counter Drame Scénario & réalisation Paul Schrader Photographie Alexander Dynan Avec Oscar Isaac, Tye Sheridan, Willem Dafoe, Tiffany Haddish...Durée 1h52