Evence-Charles Coppée, ancien directeur général de "Libération", meurt à 68 ans
Personnage atypique, il aura accompagné une période charnière dans la vie du journal entre 1996 et 2005.
Evence-Charles Coppée est mort mardi dans l'après-midi. Il avait 68 ans. Directeur général de Libération pendant neuf ans, de 1996 à 2005, il se battait depuis plusieurs années contre un cancer qui avait fini par envahir une grande partie de son corps sans parvenir jamais à réduire ni son humour ni sa bonne humeur. «Tu vas voir, je vais refaire le coup de Jésus», plaisantait-il encore mi-décembre, comme à chaque fois que l'on se voyait depuis que la maladie s'aggravait. Il est peu probable qu'une résurrection intervienne. Il sera enterré samedi, chez lui, dans les Ardennes belges.
Personnage en apparence mineur, Evence-Charles Coppée (ECC) a joué un rôle charnière dans la longue vie du journal : il a été l'homme de la perte de son indépendance financière, le bras opérationnel de l'entreprise Chargeurs devenue actionnaire majoritaire du journal après l'échec de Libé III, cette tentative d'imposer en France un «journal total», puis l'artisan du redressement après le traumatisme et le plan social qui suivra. Il aura su faire montre de pédagogie auprès des salariés et du principal dirigeant de l'époque, Serge July, pour faire admettre le rôle de l'actionnaire, en l'occurrence Jérôme Seydoux, un rôle inédit dans un média aussi soucieux de sa liberté et de son indépendance.
Faux gentil, faux dilettante
ECC fut ce lien entre la rue Béranger (siège du journal à l'époque) et les bureaux du milliardaire qui volait alors de succès en succès. Il y fallait du tac, de la patience (autant dire qu'il n'avait pas la cote auprès de la troupe) et une grande fermeté. Quitte à surprendre : les anciens de Libération se souviennent de l'énergie survoltée qu'il avait mise pour encourager l'équipe dans sa couverture engagée en faveur de l'occupation de l'église Saint-Bernard, en 1996, quelques mois après son arrivée. Plus partisan des sans-papiers que nous tous réunis ! ECC savait rassembler, mais il savait surtout compter : chaque jour, les ventes grimpaient, il ne fallait pas casser la dynamique.
Cet ancien étudiant de l'Université de Louvain pouvait avoir la morgue de l'aristocratie belge, mais il avait aussi la gouaille des titis parisiens qui ne refusent jamais un dernier verre tard dans la nuit. Faux gentil, faux dilettante, avec un charme incroyable dès lors qu'il s'agissait de convaincre. C'est lui qui a su trouver d'autres partenaires à Libération quand Seydoux décida de retirer ses billes. Il conserva cette passion du contact, cet art de mettre en relation deux personnes, deux entités, parfois très éloignées.
Gentleman-farmer
Après avoir fait rentrer Edouard de Rothschild à la présidence du conseil d'administration de la société éditrice, ECC fut viré à l'unanimité, précédant d'une année Serge July, en 2006. Il poursuivit alors sa carrière d'entremetteur en chef entre la finance, la technologie et les pouvoirs publics, dans le jeu vidéo, la recherche pharmaceutique pour finir en gentleman-farmer en Roumanie. Sans jamais vraiment quitter la presse puisqu'il était le directeur de la publication de A Magazine Curated by, la revue de langue anglaise dédiée à la mode et au stylisme.
ECC parlait de son passage à Libération comme «d'une aventure formidable», sans la moindre rancune. Une autre façon, sans doute, d'être Jésus.