Une statue à Poutine ?
Nous assistons à un véritable tournant culturel dans les relations internationales. Et si nous devions, en quelque sorte, remercier Poutine?
Une carte blanche de Joël Kotek professeur à l’ULB et enseignant à Sciences Po Paris.
Nous assistons à un véritable tournant culturel dans les relations internationales. L’invasion de l’Ukraine signifie tout simplement que la guerre est redevenue une option envisageable et la destruction de l’Humanité une réelle possibilité. Le plus fort se doit de prendre l’ascendant sur le faible : fort de sa puissance militaire, la Russie entend rayer de la carte l’Ukraine, un État souverain et démocratique. Sous des prétextes tous plus mensongers les uns que les autres.
Pour ceux qui l’ignoreraient encore, les pays de l’OTAN et de l’Union européenne désireux d’intégrer l’Ukraine se comptaient, avant cette terrible tragédie, sur les doigts d’une seule main. S’agissant de l’argumentaire sécuritaire mis en avant par Poutine, il suffirait de souligner que l’OTAN est une alliance défensive et surtout que la Russie est l’État non seulement le plus grand de notre planète mais encore le mieux armé ; l’arsenal nucléaire russe dépasse celui des États-Unis. C’est dire !
Quant à l’idée que l’Occident n’aurait eu de cesse d’humilier la Russie, elle est tout aussi insensée. Rappelons que l’écroulement de l’URSS ne doit rien aux Occidentaux (elle implosa sous l’effet de ses propres contradictions) et, plus encore, à l’impunité dont jouit le régime poutinien, pourtant coutumier des coups internes (assassinat d’opposants) et externes (guerres d’invasion tous azimuts) depuis plus de 20 ans. Non, l’Occident ne contrôle pas l’économie russe : la quelque centaine de milliardaires (les fameux oligarques) qui se repaissent du sous-sol russe sont tous issus du cru. Les responsables du malheur russe sont tous des autochtones.
Dans toute guerre, la vérité est la première victime. L’Ukraine n’est pas dirigée par une bande de drogués et de… nazis. Le poids politique de l’extrême droite ukrainienne est insignifiant, en tout cas comparé à la Flandre, à la France, à l’Italie, aux Etats-Unis et même à Israël. Comment comprendre sinon que l’Ukraine s’est choisie comme chef d’État un Juif assumé et russophone, en la personne de Volodymyr Zelensky ? Si la démocratie tient bien davantage du médicament que de la drogue, pour ce qui concerne le néonazisme, c’est bien du côté de la Russie poutinienne qu’il convient de regarder.
Poutine est-il un nouvel Hitler ? Oui, dans la mesure où il recourt aux mêmes méthodes mensongères que le chancelier nazi et aux mêmes justificatifs racialistes. N’était-ce pas pour sauver d’un « génocide » les Sudètes, des citoyens pourtant tchécoslovaques, mais « allemands de souche » (volksdeutsch) qu’Hitler justifia la destruction d’un État souverain et démocratique ? Tout comme le dictateur nazi, Poutine se révèle ainsi bien moins un joueur d’échec que de poker, arrogant et irrationnel.
Des raisons d'espérer
Que l’on ne s’y trompe pas : l’objectif premier des Poutine et autres Xi Jinping, Khamenei ou Erdogan, est tout simplement de stopper à tout prix la contagion démocratique. L’ennemi de ces tyrans, ce n’est pas l’Occident en tant que tel, mais le modèle de démocratie libérale qui semblait jusqu’ici vacillant. Jusqu’ici ! Car au-delà de la tragédie que vivent nos frères ukrainiens, il y a de nouvelles raisons d’espérer.
La divine surprise est que la menace russe semble avoir (enfin) réveillé l’Europe qui vit une véritable révolution culturelle. L’Europe se fera dans les crises disait Jean Monnet et le moins qu’on puisse dire est qu’il n’avait pas tort. Qui est, en effet, à l’origine de la construction européenne, au-delà des Pères fondateurs que furent Schuman, Adenauer, De Gasperi, Spaak, sinon … Joseph Staline ? La menace bien réelle que posa l’URSS après le coup de Prague et le blocus de Berlin en 1948, explique les raisons qui poussèrent les Américains à exiger des Français, des Belges, des Hollandais, des Italiens et des Luxembourgeois qu’ils tendent la main aux Allemands. Cinq ans après la découverte Auschwitz ! Cette évidence explique la boutade de mon maître Alfred Grosser selon laquelle, il nous faudrait ériger dans chacune des grandes places de nos capitales une statue à Joseph Staline. Pourquoi ? Tout simplement pour le remercier de nous avoir forcés, bien malgré nous, à construire l’Europe supranationale.
Il en est exactement de même aujourd’hui. L’hubris suicidaire du maître du Kremlin a forcé l’impensable: en moins d’une semaine, l’Europe s’est positionnée en entité politique et surtout militaire. L’Union européenne va pour la première fois de son histoire vendre et exporter des armes. Pour l’Allemagne la révolution est également à la mesure du défi: jamais, en effet, cet État n’avait imaginé s’investir militairement. Mieux encore, la Finlande et la Suède envisagent une adhésion à l’OTAN. Bien malgré lui, le dictateur moscovite a redonné sa raison d’être à l’Europe et à l’OTAN. Comme Staline qui avait misé sur la division entre les Occidentaux, Poutine a parié sur la discordance des Européens. Bien à tort manifestement. Le courage des Ukrainiens a forcé celui de l’Europe. La peur a forcé les Occidentaux à faire front. L’Europe s’annonce plus que jamais comme une évidence incontournable même pour ses pires détracteurs illibéraux, polonais et hongrois. Les trois récentes crises, financière, sanitaire et aujourd’hui militaire, ont démontré la plus-value, mieux la nécessité d’une Union européenne. Que vivent donc l’Ukraine démocratique et l’Europe supranationale, économique, politique et, espérons-le, désormais militaire !