Pour un multilinguisme fort au sein de notre démocratie européenne
En ce 20 mars, journée internationale de la francophonie, les parlementaires francophones réunis au sein de la région Europe de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) en appellent à la défense du multilinguisme, qui est l'un des piliers fondateurs de nos démocraties.
Une carte blanche rédigée par un collectif de signataires (voir la liste complète ci-dessous)
Le multilinguisme dans les institutions européennes est l’un des piliers fondamentaux de nos démocraties. Nous, parlementaires francophones d’Europe membres de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), vous expliquons pourquoi.
Plus personne ne conteste la place considérable prise par l’Europe dans notre vie quotidienne et de son incidence sur les citoyens des vingt-sept États membres.
Le Brexit et ses conséquences ont suscité de nombreuses interrogations dont celle, certes moins médiatique mais ô combien sensible, de la poursuite de l’hégémonie de la langue anglaise dans les débats, communications, informations et modes de fonctionnement des institutions européennes.
Cette hégémonie ne correspond pas au cadre juridique de l’Union européenne (UE) dont nous sommes en droit d’exiger le respect. Ainsi, en son article 3, le Traité de l’Union européenne dispose que « l’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ». De même, l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pose le principe de l’interdiction de « toute discrimination exercée en raison de la nationalité », duquel découle l’obligation de respecter le multilinguisme. Nous ne citerons pas les autres textes cadres, à l’image de la Charte des Droits fondamentaux, ni ceux propres à chaque institution, textes qui ne font que consolider, notamment, les diversités culturelle et linguistique de l’Union et qui témoignent de ses richesses.
Et pourtant ! On observe que l’usage courant constitue souvent une infraction au droit européen, et ce, à plusieurs égards. D’abord dans les institutions mêmes, où il s’avère que plusieurs aménagements ont été malencontreusement mis en place. A l’exception de la Cour de justice de l’Union européenne, qui, garante du droit des administrés, utilise les langues des justiciables, et du Parlement européen, composé de députés venus des vingt-sept pays, les autres institutions, le Conseil et la Commission, avec ses directions générales et ses agences, ont cette forte propension voire la fâcheuse tendance à privilégier l’anglais. Dans la communication de l’Union européenne aussi, de graves lacunes ont été très rapidement mises en exergue. Ainsi, tant sur les sites Internet des institutions que dans les appels d’offres et les consultations publiques, on a pu constater que les discriminations flagrantes à l’égard des autres langues que l’anglais étaient monnaie courante. Il est regrettable de voir que non seulement l’information donnée aux médias mais aussi la communication envers les parlements nationaux privilégiaient essentiellement l’anglais. (1)
Autant d’éléments qui, au moment où s’installe la Conférence sur l’avenir de l’Europe, nous amènent à nous questionner sur son élan démocratique. Nous l’avons déjà évoqué. Nous aimons à le répéter. L’Europe est riche de sa diversité et nous ne mesurons pas suffisamment l’importance de cette richesse, au risque de la mettre en péril !
Le Brexit, renforcé par les choix de Malte et de l’Irlande quant à leur langue officielle, aurait pu laisser croire que l’anglais allait disparaître de la liste des langues officielles de l’Union européenne. Ce n’est pas le cas ! Loin de nous l’intention de clouer au pilori une langue qui fait partie de l’histoire de l’Union et qui a œuvré, comme beaucoup d’autres, à son élargissement et à son épanouissement. Ne nous méprenons pas sur notre démarche : l’idée que nous défendons est de retrouver le sens du projet singulier européen dont fait partie la diversité des langues et des cultures, une diversité malmenée par un choix de facilité. C’est exactement ce vœu que formule la Région Europe de l’APF dans une recommandation adoptée en novembre 2019 : « Les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’UE doivent réaffirmer clairement leur attachement au multilinguisme dans les Institutions européennes et leur ferme volonté de rééquilibrer l’usage des langues. »
Nous évoquions la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cette vaste participation citoyenne, peut-être le plus grand élan démocratique de l’Europe à ce jour, est lancée aux quatre coins de l’Union. La Conférence est résolue à se montrer inclusive, et à intégrer chaque citoyen de l’Union dans le débat en recourant au multilinguisme.
L’approche inclusive est fondamentalement participative, en ce sens qu’elle convie chaque individu à interroger son positionnement et son comportement dans le groupe, pour y exercer deux responsabilités concomitantes : celle de s’exprimer et celle de permettre aux autres d’en faire autant. Le multilinguisme rend seul possible ce vrai dialogue, en permettant à tous d’avoir accès à l’information. Dans ce contexte, la traduction est l’outil indispensable qui garantit au citoyen la possibilité de participer à la construction d’un avenir commun, sans être contraints de renoncer à sa propre langue, vecteur de sa propre culture. Permettre un accès à toutes et tous dans sa langue aux documents et informations est une exigence démocratique qui ne coûterait que deux euros par personne et par an.
Les premiers éléments de réponse de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en témoignent amplement (2). Outre l’idée d’une restructuration des institutions européennes voire d’une fédéralisation de celles-ci, diverses suggestions de ces consultations appellent à une participation accrue des citoyens, demandant par la même occasion plus de transparence et plus de proximité des institutions. Comment pourrions-nous atteindre ces objectifs démocratiques sans l’apport du multilinguisme ? La Région Europe de l’APF entend relever ce défi et elle invite chacun à le faire. Pour cette raison, elle continuera sa lutte pour le retour du français dans les institutions européennes au rang qui est juridiquement le sien. Défendant cette légitime place du français, elle aspire également à défendre les autres langues de l’Union européenne.
« Le chemin va encore monter », écrivit Sénèque, mais l’avenir est devant nous !
(1)S. Cimpeanu, H. Fassi-Fihri, B. Fuchs, Rapport de la Mission parlementaire, 31 recommandations pour promouvoir le français et le multilinguisme dans les institutions européennes, Assemblée régionale Europe, 14-15 novembre 2019.
(2)Ces éléments sont consultables sur le site de la Conférence
Liste de signataires :
M. Florin-Alexandru ALEXE, membre de la Chambre des députés de Roumanie, président de la section roumaine de l’APF
Mme Dora BAKOYANNIS, membre du Parlement hellénique, présidente de la section grecque de l’APF
M. Albert BERTIN, président du Conseil de la Vallée d’Aoste, président de la section valdôtaine de l’APF
M. Matthieu DAELE, député au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, président de la section belge de l’APF
M. Rudy DEMOTTE, président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
M. Mars DI BARTOLOMEO, membre de la Chambre des députés du Luxembourg, trésorier de l’APF
M. Christophe André FRASSA, membre du Sénat français, président de la commission politique de l’APF
M. Bruno FUCHS, député à l’Assemblée nationale française, président de la section française de l’APF
M. Gusty GRASS, membre de la Chambre des députés du Luxembourg, président de la section luxembourgeoise de l’APF
M. Pim KNAFF, membre de la Chambre des députés du Luxembourg
M. Jacques KRABAL, député à l’Assemblée nationale française, secrétaire général parlementaire de l’APF
M. Albert LANIÈCE, membre du Sénat italien, membre de la section valdotaine de l’APF
Mme Josée LORSHE, membre de la Chambre des députés du Luxembourg
M. Jean-Charles LUPERTO, député au Parlement de Wallonie et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, chargé de mission Europe de l’APF
M. Georgi MIHAYLOV, membre du Parlement bulgare, président de la section bulgare de l’APF
M. Aleksander POCIEJ, membre du Sénat polonais, président de la section polonaise de l’APF
Mme Françoise SCHEPMANS, députée au Parlement de la Région de Bruxelles-capitale et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, première vice-présidente du Réseau des femmes parlementaires de l’APF
M. Jean-Paul WAHL, membre du Sénat belge, député au Parlement de Wallonie et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, vice-président de l’APF