Législatives : "Les partis savent que les femmes peuvent faire la différence"
Le vote pour le Rassemblement national est-il en passe de devenir unisexe ? Les chiffres des élections européennes témoignent, en tout cas, d’un net resserrement entre les hommes et les femmes. Le parti de Jordan Bardella a gagné dix points dans l’électorat féminin entre le scrutin de 2019 et celui de 2024, passant de 19 % à 30 % (et de 28 % à 32 % chez les hommes), selon un sondage Ipsos. L’Ifop donne même les femmes devant les hommes : 32 % contre 31 %.
"Il n’y a désormais plus de spécificité de genre dans le vote RN"Le phénomène n’est pas nouveau. Il date de 2011 avec l’accession de Marine Le Pen à la tête du Front national. Mais il s’est intensifié avec l’entreprise de dédiabolisation d’abord puis de normalisation ensuite d’un parti rebaptisé Rassemblement national en 2018.« L’impact est visible : l’écart entre le vote des femmes et des hommes en faveur du RN s’est réduit lors des élections présidentielles de 2012 puis de 2017, notamment chez les jeunes générations, avant de totalement disparaître depuis 2022. Il n’y a désormais plus de spécificité de genre dans le vote RN », avance Mathieu Gallard, directeur de recherche chez Ipsos, dans une analyse pour la Fondation Jean-Jaurès (1).
Le tournant, selon la politologue Mariette Sineau, a tenu dans l’insistance de Marine Le Pen à rompre avec « la violence verbale et physique » de son père pour présenter une « figure lisse, honorable ». « On a perçu ce mouvement de fond dès la présidentielle de 2012. Le résultat des européennes peut être lu comme la suite logique de ce qui précède : les femmes avaient déjà cédé, lâché. »
Marine Le Pen "a instrumentalisé son genre"De fil en aiguille, celle qui aspire au pouvoir suprême est allée « jusqu’à instrumentaliser son genre, en se posant en femme, en mère, élevant seule ses enfants, attirant à elle les femmes par identification, en particulier les catégories populaires », poursuit la directrice de recherche honoraire au CNRS et à Sciences Po (2).« Désormais, la seule différence dans le vote hommes-femmes se fait sur Éric Zemmour. On retrouve les travers de Jean-Marie Le Pen, le machisme érigé en norme. Alors que Jordan Bardella, lui, s’est efforcé de présenter un visage dénué de violence, d’aspérités. »
« En 2011, la stratégie de dédiabolisation du parti s’est appuyée sur la promotion d’un message de protection des femmes vis-à-vis des dangers que feraient peser sur leurs droits l’immigration ou l’Islam »
rappelle Mathieu Gallard. « De plus, certaines évolutions sociales ont peu à peu affaibli les barrières traditionnelles au vote en faveur de l’extrême droite (le recul de la pratique religieuse catholique), tandis que parallèlement les difficultés sociales spécifiques touchant les femmes des milieux populaires les ont rendues plus sensibles aux thématiques du parti. »
Les femmes en première ligne face à l'inflationL’irruption de l’inflation dans la vie de tous les jours, en particulier des femmes élevant seules leur(s) enfant(s), a vraisemblablement donné un coup d’accélérateur, confirme Mariette Sineau. « Les femmes sont en première ligne des difficultés que rencontrent les Français sur le plan économique. Elles sont moins qualifiées, moins diplômées, employées dans des secteurs mal rémunérés tels que les soins à la personne. On peut penser qu’elles ont été plus touchées que les hommes par la perte de pouvoir d’achat. J’en veux pour preuve le sondage Ifop, le jour du vote aux européennes. Sur les enjeux déterminants, on note une différence de cinq points entre les femmes et les hommes sur le relèvement des salaires et du pouvoir d’achat, sept sur la santé et six points sur l’éducation. Sur leur tête pèse l’essentiel de la pauvreté. »Les législatives rebattront-elles en partie les cartes, considérant les menaces directes que pourrait faire peser le RN sur les droits des femmes ? « Sur la constitutionnalisation du droit à l’IVG, seulement une moitié du groupe RN l’a votée. Donc il n’est pas exclu que si les associations et les partis de gauche se mobilisent sur les droits des femmes, il n’y ait pas une petite prise de conscience quant à la dangerosité d’amener ce parti au pouvoir, et potentiellement un petit recul du RN », suggère la politologue. Mariette Sineau rappelle que les femmes représentent 52,3 % du corps électoral. « C’est un surplus de plus de deux millions de voix. Elles ont pour elles la force du nombre. Les partis savent qu’elles peuvent faire la différence. »
Nathalie Van Praagh(1) « Les mutations progressives du vote Rassemblement national » (19/06/2024).(2) Co-autrice de « Femmes et République ». Documentation française (2021).
Associations féministes et syndicats appellent à la mobilisation générale ce dimanche face à l'extrême droite, dénonçant son "féminisme de façade" et le "véritable danger qu'elle représente" pour les droits des femmes, des accusations rejetées par le Rassemblement national qui fustige des "caricatures". A une semaine du premier tour des législatives pour lesquelles le RN part favori, un cortège s'élancera à 14h30 à Paris, de République pour rejoindre Nation où une "alerte féministe sera lancée" avec des sifflets, à l'appel de plus de 200 associations (Fondation des femmes, Planning familial, #Noustoutes...), d'ONG (Oxfam, France Terre d’Asile...) et de syndicats (CGT, CFDT...). Des manifestations similaires sont annoncées dans une trentaine d'autres villes, comme à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Poitiers ou Nice.