Débat de la primaire de droite: Réduire massivement le nombre de fonctionnaires, ça a déjà été fait mais pas comme François Fillon le propose
ECONOMIE - Voilà un combat de chiffres qui se retrouve au centre du dernier débat de la primaire de droite. Faudrait-il supprimer 300.000 postes de fonctionnaires comme le préconise Alain Juppé, ou plus de 500.000 comme le pense François Fillon?
Les deux ex-premiers ministres se sont affronté ce 24 novembre au soir, à l'occasion de l'unique débat d'entre deux tours de la primaire de droite, pour savoir lequel est "trop mou" ou "trop dur".
Passage de 35 à 39 heures, en force ou en concertation, départs à la retraite, gel des embauches... Les experts ont passé au crible la proposition la plus audacieuse de François Fillon pour savoir si elle crédible. Verdict: c'est sûr, cela s'annonce très compliqué.
Pourtant, vu de l'étranger, disons du Royaume-Uni, de la Suède ou du Canada, cette agitation a de quoi faire sourire. Ces trois pays ont déjà tranché. Oui, supprimer 500.000 fonctionnaires est faisable.
Mais la méthode voulue par François Fillon est sans doute la pire. "Au début, on peut se contenter de ne pas remplacer un départ sur deux à la retraite, mais ensuite il faut faire des choix, avertit Patrick Artus, chef économiste chez Natixis. Le 'coup de rabot' homogène est absurde."
Comme le montrent ces trois exemples, ces choix s'annoncent douloureux.
Royaume-Uni:
330.000 postes en quatre ans, pas de tabou sur l'emploi à vie
En juin 2010, le gouvernement de David Cameron annonce un objectif de réduction des effectifs publics de 25% en quatre ans. Sans donner de chiffres plus précis, mais avec l'idée très claire de réduire la proportion des emplois publics dans certaines régions du pays.
En 2013, l'Office for Budget Responsibility (OBR), organisme de prévision indépendant du gouvernement, estime les suppressions de postes à 330.000. Ses conclusions sont plutôt positives:
"En dépit des inquiétudes exprimées en 2010 selon lesquelles une réduction de l'emploi public entraînerait jusqu'à un demi-million de pertes d'emplois, pour chaque emploi perdu dans le secteur public depuis lors, trois emplois ont été créés dans le secteur privé. Au cours de l'année écoulée, cette proportion est passée à cinq. Depuis le trimestre d'avril 2010, 914.000 emplois ont été créés."
En 2015, la fonction publique britannique employait toujours 5,3 millions de personnes. On est donc bien loin des 25% initiaux mais les résultats sont là. Rien que le nombre de "civil servants", l'équivalent de nos hauts fonctionnaires, a baissé de plus de 100.000 depuis 2010.
Effectifs de hauts fonctionnaires à temps plein au Royaume-Uni.
Source: ons.gov.uk
Pour atteindre ces objectifs, le Royaume-Uni a eu recours au non remplacement des départs en retraite, au gel des embauches, mais aussi aux licenciements via les "redundancy package". A l'image de nos plans sociaux, ils ouvrent le droit à des reclassements, des formations et des versements d'indemnités.
Ce dernier point suffirait à mettre à feu la fonction publique française, où l'emploi à vie est garanti depuis 1946. Jusqu'ici François Fillon a soigneusement évité le sujet.
Suède: quasi disparition du statut de fonctionnaire
Plus loin de nous, la Suède du début des années 90 reste toujours une référence de bonne gestion de crise des finances publiques.
"Il n'y a quasiment plus de fonctionnaires. Les Suédois ont séparé ce qu'ils voulaient continuer à faire du reste, en préservant les fonctions de l'Etat sur la sécurité, la police, mais aussi les transports ou l'école", rappelle Patrick Artus, chef économiste chez Natixis.
Chaque "pôle" est supervisé par un ministère qui chapeaute une agence de droit privé. Le ministre fixe les objectifs pluriannuels. "Il y a une énorme batterie d'indicateurs de performances. Les gens sont payés et avancés au mérite, les mauvais sont virés. Dans les années 90, cela a permis de réduire de 15% le nombre d'employés sans dégradation visible", poursuit Patrick Artus.
Tous les autres secteurs d'où l'Etat s'est retiré ont été libéralisés en masse au cours des années 90 et 2000: taxis, trafic aérien intérieur, postes et télécoms, électricité, fret ferroviaire, maisons de retraite, écoles maternelles, agences pour l'emploi, pharmacies, etc.
Canada: laisser les régions définir leurs priorités
Toujours dans les années 90, le Canada a aussi tordu le cou de ses déficits publiques. Entre 1995 et 1997, le budget fédéral a baissé de 25%, comme l'explique Stephen Gordon, professeur d'économie à l'université Laval de Québec, à La Croix: "Les programmes gouvernementaux ont été évalués un par un. En n'imposant pas de coupes à tous les ministères, le gouvernement évite de se faire trop d'ennemis. »
Les dépenses sont amputées de 12,7 % entre 1993 et 1996. Tandis que le nombre d'emplois publics diminue de 16,7%, soit 450.000 suppressions de postes.
"Le gouvernement central a coupé les transferts aux gouvernements provinciaux, mais chaque province a décidé de ses priorités, de ses coupes", explique le canadien Marc-Antoine Collard, chef économiste chez Rotshchild & Cie Gestion.
Cette fois en revanche, la mise à la retraite de milliers d'infirmières a durablement dégradé la qualité des services de santé.
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