"Je me suis laissé déborder, étouffer, au point de faire un burn-out" : depuis 2020, un maire démissionne chaque jour

Les sénateurs devraient voter massivement, ce jeudi, en faveur d’une proposition de loi visant à « instaurer enfin un véritable statut de l’élu local ». À deux ans des prochaines municipales, il y a urgence à enrayer la crise des vocations.

Plus qu’un simple coup de mou ou même d’arrêt, un effondrement. À la fois brutal et insurmontable. Le 13 février 2023, Guillaume Moliérac publie un message fleuve sur la page Facebook de la commune de Villeréal, 1.300 habitants dans le Lot-et-Garonne. Monsieur le maire y annonce sa décision de renoncer à un mandat décroché moins trois ans plus tôt. « Le stress », « le poids de la fonction », « l’usure psychologique » générée par une « passion dévorante » ont eu raison, écrit-il, de ce qui était pourtant « un rêve de gamin ».

Joint par téléphone ce mercredi, l’ex-édile de 43 ans, par ailleurs conseiller régional PS de Nouvelle-Aquitaine, explique « ne pas avoir bien appréhendé ce que représentait le fait d’être à la tête d’une petite commune. Rester sur le pont 24 heures/24, 7 jours/7, sans le moindre répit, ça vous rince. Tout passe par vous, toujours. On vous demande de tout régler et ça ne s’arrête jamais. Je me suis laissé déborder, étouffer. » Au point d’avoir connu, dit-il, « un vrai burn-out ».

« J’ai serré les dents, mais un beau jour, ça m’est tombé dessus : je ne voulais et ne pouvais plus me lever, répondre au téléphone, lire mes mails. J’avais juste envie de tout balancer. L’ordinateur, le téléphone… J’ai même eu une alerte cardiaque, sans doute liée à mon épuisement. Jamais je n’aurais pensé vivre un truc pareil. Là, j’ai compris qu’il fallait tout arrêter. »

1.424 démissions d’édiles depuis 2020, du jamais vu

Guillaume Moliérac est loin d’être un cas isolé. D’après le dernier décompte repris dans la proposition de loi discutée ces jours-ci au Sénat, à l’initiative notamment de la centriste Françoise Gatel, « 1.424 maires » élus ou réélus en 2020 avaient jeté l’éponge au 31 janvier 2024. C’est 4 % du total, mais surtout l’équivalent d’une démission par jour. Du jamais vu.

Le texte élaboré par la chambre haute incrimine pêle-mêle « la considérable augmentation des violences faites aux élus locaux », « le décalage croissant entre les exigences » imposées par la fonction « et les droits reconnus », ou encore « le désengagement de l’État dans les territoires ». De quoi faire redouter, lors des municipales de 2026, « l’avènement d’une véritable crise de la démocratie locale ». Afin de répondre à ce « malaise sans précédent », une large majorité de sénateurs (309 sur 348) plaide donc pour l’instauration d’un « statut de l’élu local ».

Indemnités à la hausse, congé de formation allongé

Leur proposition de loi, soumise au vote ce jeudi 7 mars, prévoit tout un panel de mesures destinées à « améliorer les conditions d’exercice du mandat local ». Si le gouvernement donne son feu vert, les indemnités des maires et de leurs adjoints seront ainsi revues à la hausse, quelle que soit la taille de la commune, « afin de compenser l’inflation » et de « reconnaître leur engagement à sa juste valeur ». Exemple : l’édile d’un village de moins de 500 habitants pourrait percevoir un maximum de 1.155 €, contre 1.048 € aujourd’hui. Dans une ville de 20.000 à 49.999 habitants, le plafond passerait de 3.700 € à 4.082 €.

Il est aussi question d’« améliorer le régime de retraite » des maires, adjoints au maire, présidents et vice-présidents des Départements et des Régions?; d’« étendre le bénéfice de la dotation particulière “élu local” », versée par l’État, « à l’ensemble des communes de moins de 3.500 habitants »?; de « rendre obligatoire le remboursement des frais de transport engagés » dans le cadre des fonctions?; de « faciliter les autorisations d’absence », afin de mieux concilier mandat et vie professionnelle?; d’instaurer des réductions d’impôts pour les entreprises employant des élus locaux?; ou encore d’augmenter de 18 à 24 jours la durée de leur congé de formation.

« Ce dernier point est crucial, juge Guillaume Moliérac, car plus les maires seront informés et préparés en amont à ce qui les attend, plus ils seront capables de l’absorber. J‘ai payé pour le savoir… »

Photo Francois-Xavier Gutton

« Un premier pas important »

Dans les rangs de l’Association des maires ruraux de France, la création de ce statut et les mesures associées sont perçues comme « un premier pas important dans la bonne direction ».

« Nous souhaitons que le texte soit voté au Sénat et aille au bout de son parcours législatif », affirme Éric Krezel. Mais le vice-président de l’AMRF, également à la tête de Ceffonds, 650 habitants en Haute-Marne, appelle d’ores et déjà à « aller plus loin », notamment en matière de « simplification de la paperasse et de tous les aspects normatifs, qui sont d’une complexité folle et pèsent beaucoup dans le blues actuel ».

Et Éric Krezel de prendre un exemple très concret : « Le budget de la communauté de communes à laquelle appartient mon village fait pas moins de 975 pages. Nous, maires, on nous demande de voter pour ou contre. Mais comment voulez-vous qu’un édile qui est électricien ou maçon, qui finit sa journée de boulot à 17h30, puisse se plonger dans un tel pavé et soit en mesure de se prononcer dessus à 18h30, en conseil communautaire, en ayant tous les éléments?? C’est juste impossible. »

Stéphane Barnoin